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Être ou ne pas être un requin-lézard ? 

par Morel De Méral

Un homme, un jour, lira, et puis tout recommencera.
Marguerite Duras.
Le requin-lézard, requin frangé, requin festonné, requin à tunique ou requin à collerettes (Chlamydoselachus anguineus) est une espèce de requins de la famille des chlamydosélachidés avec une distribution grande mais inégale, dans les océans Atlantique et Pacifique. Cette espèce vit sur la zone externe du plateau continental et du talus continental supérieur, généralement près du fond. Il vit jusqu'à 1.570 mètres de profondeur, alors que dans la baie de Suruga, au Japon, il est plus courant à des profondeurs de 50 à 200 mètres. Son corps atteint jusqu’à deux mètres de long et arbore une couleur brun foncé, ressemblant à une anguille avec les nageoires dorsales, pelviennes et anales placées loin en arrière.
Rarement observé, le requin-lézard capture ses proies en pliant son corps et bondit en avant comme un serpent. Ses mâchoires extrêmement flexibles lui permettent d'avaler de grosses proies, tandis que ses rangées de petites dents pointues les empêchent de s'échapper. Il se nourrit principalement de céphalopodes, tout en consommant des poissons osseux et d'autres petits requins. Cette espèce est vivipare aplacentaire : les embryons sortent de leurs œufs à l'intérieur de l'utérus de la mère, et sont menés à terme en consommant principalement les réserves de leur vitellus, recevant dans les derniers stades de développement certains nutriments (principalement inorganiques) de la mère. Le requin-lézard a la période de gestation la plus longue chez un vertébré : elle peut durer trois ans et demi. Entre deux et quinze jeunes naissent par portée, il n'y a pas de saison de reproduction distincte.

Source : Wikipédia.

Si l’on s’en réfère à ce qui a précédé, l’équipe de B’s & B’s est constituée pour l’essentiel de requins-lézards, la gestation de notre revue en ligne ayant duré exactement trois ans et demi.

Quarante-deux mois : c’est exactement le temps qu’il aura fallu pour que ce rêve prenne lentement forme, puis corps, avant de devenir une réalité tangible.

Que reste-t-il du projet initial dans sa version printemps-été 2015 ? Des riens.

Mais quels riens !

En premier lieu, une volonté farouche de nous positionner (oui, rien que ça) comme les arrière-petits-enfants des artistes et intellectuels venus d’horizons divers – l’éventail allant d’Alfred Jarry à Henri de Toulouse-Lautrec, en passant par Léon Blum – qui firent l’historique Revue Blanche entre 1890 et 1903. Et c’est peu dire que Misia Sert, Thadée Natanson et leurs amis auront longtemps – et font encore – rêver certains d’entre nous.

Donc les descendants directs, plutôt que les héritiers, de La Revue Blanche, mais des descendants secrètement enchantés de pratiquer l’art du grand écart incessant entre vintage de choix et modernité. Ou bien alors les enfants cachés que le chanteur, performeur, réalisateur, acteur et éditeur Pierre Pascual – alternative : Alister – aurait pu faire, backstage et comme par distraction, à l'insubmersible Madeleine Castaing, à l'issue d'un concert donné à guichet fermé au Carmen.

Vintage de choix et modernité : notre Carte du Tendre idéale démarre peu ou prou avec Platon (« Qu’est-ce que le Beau ? »), pour se poursuivre naturellement avec Le Tintoret, Le Caravage, Shakespeare, Montaigne, Marivaux, George Sand, Verlaine, Fauré, Proust, Frédéric Bazille, Antonio Sant’Elia, Max Ophuls, Natalie Barney, Nathalie Sarraute, Violette Leduc, Jean Vigo, Jean Grémillon, Jean Genet, Luchino Visconti, Pasolini, Fassbinder, Marianne Faithfull, Ingrid Caven et Yves Saint Laurent, envisagé.e.s comme autant d’escales obligatoires, certes, mais non suffisantes.

Les traqueurs de Beau de B’s & B’s soignent, entretiennent et bichonnent leurs « classiques » comme le personnage interprété par la fabuleuse Liliane Rovère soigne, entretient et bichonne le chien « Jean Gabin » tout au long des trois premières saisons de Dix pour cent. C’est dire à quel point leur amour de l’Art est infini, ce d’autant plus que ressenti pour ce qu’il est : un élan du cœur, nécessitant à la fois pratique assidue, abnégation et sincérité.

Mais, là encore pareils à des requins-lézards, ils sont aussi, par essence, insaisissables. Ils prisent tout aussi ce qui est disruptif, détestent l’odieuse doxa, chient sans y mettre de gants sur la paresse intellectuelle. Et par-dessus tout, rêvent, comme Thadée Natanson et Misia Sert en leur temps, de découvrir avec quelques encablures d’avance sur le reste du monde – voire d’aider à révéler – les talents de demain. D'une certaine manière, les Very Beautiful Ones revendiquent haut et fort leur refus sans appel de devoir choisir entre tout et son contraire (le contraire du Beau a un nom : c’est le Beau), et, en prime, le droit inaliénable ne pas de voir taxer d’opportunisme pour autant.

Feue la Revue Blanche a pu exister, pendant dix ans, grâce au bon vouloir d’une famille, blindée de thune, de banquiers prodigues, généreux et amoureux de l’Art pour l’Art. N’ayant pas encore eu la chance d’en croiser sur notre route, nous démarrons avec trois fois rien : nos bites (pour la majeure partie d’entre nous), nos couteaux (généralement suisses) et notre curiosité sans limites. Ce qui n’est peut-être pas plus mal, au fond.

Aux bites, aux couteaux et à la curiosité sans limites vient encore s’ajouter le fait que le comité de rédaction de B’s & B’s présente le double avantage d’être éparpillé à travers la planète (Allemagne, Italie, France, Canada, Japon) et de se composer de membres dont l’âge – concept au demeurant fort négligeable en soi – s’étend peu ou prou, de 18 à 88 ans. Pour ce qui est du premier point, nous en sommes extrêmement heureux. Pour ce qui relève du second, nous n’y sommes strictement pour rien - le hasard des rencontres l'a voulu ainsi - mais n'en sommes pas moins extrêmement fiers pour autant.

La seule chose au monde qui pourrait nous rendre plus fiers encore serait de pouvoir intégrer rapidement à notre équipe davantage de plumes féminines qu’en comporte ce Numéro Zéro, et que le Numéro Un, dont la mise en ligne est d’ores-et-déjà calée pour le premier jour du printemps 2019, puisse de la sorte s’inscrire sous le signe d’une parité effective et pérenne.

En attendant ce jour faste, nous continuerons, tout au long des quatre prochains mois, à achalander les colonnes virtuelles de ce B’s & B’s # 0 d’articles nourris, de photogrammes variés, de capsules musicales choisies, ouverts par essence à toute proposition de collaborations, ponctuelles ou dans la durée, également désireux, à court terme, d’intégrer à notre noyau dur des talents issus de la Diversité.

Cette aventure est une aventure collégiale. Faisons en sorte qu'elle le reste.

Cette revue est aussi la vôtre. Profitez-en !

Morel De Méral, novembre 2018.

Gratitudes

L’auteur et principal responsable de ce qui a précédé tient à remercier très chaleureusement Kenneth Anger, Hélène Cixous, Marianne Faithfull, Brigitte Fontaine, Marie France Garcia, Guy Gilles, Yann Gonzalez, Jeanne Moreau, Vanessa Paradis, Françoise Sagan et les fab four de YachtClub de l’avoir, sur la dernière ligne droite et à leur insu, accompagné de leurs idées, de leurs mots, de leurs sons, de leur voix, et de leur regard éclairant sur le monde.

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